Internet s'apprête à passer la troisième. Plusieurs géants de la technologie, veulent bâtir un "métavers", un méta-univers numérique où la frontière entre le réel et le virtuel se brouille, jusqu'à disparaître complètement. Le groupe Facebook, en première ligne, a notamment annoncé lundi 18 octobre, la création de 10 000 emplois dans l'Union européenne pour développer le "métavers".
Au même titre que de nombreuses innovations technologiques, l'idée d'un métavers a parcouru un long chemin avant d'intéresser les mastodontes de la Silicon Valley. Le terme apparaît pour la première fois dans un roman de science-fiction, Le Samouraï virtuel, publié par l'auteur américain Neal Stephenson en 1992, dans laquelle tout individu peut se connecter, grâce à des lunettes spécifiques, à cet univers en trois dimensions où les actions virtuelles ont des effets sur le monde réel.
"C'est le fantasme de tous les développeurs de jeux vidéo depuis qu'ils existent", explique à franceinfo Julien Pillot, économiste enseignant à l'Inseec et spécialiste des marchés technologiques. D'autres œuvres cultes, comme les films Tron (1982), Matrix (1999) ou, plus récemment, Ready Player One (2018) explorent aussi des univers numériques où la fiction vaut autant, sinon plus, que la réalité.
Fin juillet 2021, la réalisation de ce vieux rêve a bénéficié d'un coup d'accélérateur : Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, a confié au site The Verge (en anglais) que l'entreprise s'engageait dans un plan chiffré à plusieurs milliards de dollars pour construire un univers immersif qui permettra de communiquer avec ses proches, d'avoir accès à une vie de bureau et à des divertissements. Le milliardaire considère que le métavers représente le "Graal des interactions sociales".
Les contours du métavers finissent donc par se préciser. "C'est la fusion d'un univers virtuel avec des fonctionnalités qui sont, elles, bien ancrées dans le réel, résume Julien Pillot. Dans cet univers, on pourrait greffer des éléments très concrets, des concerts ou des boutiques, dans lesquels on pourrait vivre des expériences."
Dans un essai publié en janvier 2020 (en anglais), l'investisseur en technologie Matthew Ball pose le cadre du métavers tel qu'il pourrait arriver dans les prochaines années : un univers persistant, qui ne connaîtrait ni pause, ni redémarrage, qui procurerait une sensation de présence active et serait rempli de contenus et d'expériences sensorielles, tout cela reposant sur une économie qui lui serait propre.
Les bâtisseurs du métavers veulent rendre beaucoup plus immersives les expériences que l'on vit déjà sur internet, à savoir la navigation sur les réseaux sociaux, la visioconférence, les jeux vidéo, le divertissement... Sans oublier le shopping en ligne. L'autre grande valeur ajoutée, c'est la possibilité de faire communiquer des univers pour l'instant cloisonnés. Exemple : l'achat d'une (vraie) chemise sur internet pourrait donner droit à un coupon permettant d'habiller votre avatar virtuel avec le même vêtement, qui s'afficherait aussi bien dans une salle de réunion que lors d'une partie de poker en ligne.
Cela vous paraît grotesque ? Ce type d'achat existe pourtant déjà et rapporte des sommes colossales à certaines entreprises, comme le studio Epic Games, créateur du célèbre jeu vidéo Fortnite. La franchise a généré un chiffre d'affaires de 5,1 milliards de dollars en 2020, dont une majeure partie provient du commerce d'accessoires virtuels, vendus entre 2 et 20 dollars pièce. Pour l'instant, ces objets numériques restent limités au périmètre du jeu, mais grâce au métavers, ils pourraient être affichés sur les réseaux sociaux ou d'autres sites.
En dehors des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), les développeurs de jeux vidéo sont des acteurs importants dans la course au métavers. De nombreuses expérimentations ont déjà eu lieu sur ces plateformes, comme l'impressionnante série de concerts virtuels organisés en avril 2020 par le rappeur américain Travis Scott, toujours sur Fortnite. Alors qu'une grande partie du monde était confinée en raison de la pandémie de Covid-19, l'artiste a réuni près de 28 millions de joueurs devenus spectateurs, qui avaient la possibilité de tournoyer autour d'un immense avatar du chanteur pendant sa prestation. Enfin, le métavers a aussi une dimension industrielle. C'est la direction prise par Microsoft notamment, qui développe des "jumeaux numériques" d'infrastructures, comme des "réseaux de distribution d'énergie, des entrepôts ou des usines", truffés de capteurs pour surveiller et optimiser leurs activités. Une fois modélisé, le double numérique peut être géré par un système intelligent. Pêle-mêle, cela permet de prédire quand un équipement devra être remplacé, quand une étagère devra être réapprovisionnée, d'éviter les goulots d'étranglement sur une chaîne de production... L'entreprise développe également des lunettes affichant des informations sous forme d'hologrammes pour guider des techniciens lors de leurs interventions, ce qui crée ainsi une "réalité mixte", ou augmentée. A l'heure des monnaies numériques comme le bitcoin, de la vente aux enchères d'œuvres virtuelles, du streaming vidéo et du télétravail de masse dû à la pandémie de Covid-19, on peut être tenté de dire que le métavers nous entoure déjà. "Il ne faut pas aller trop vite en besogne", tempère Julien Pillot, qui estime que le métavers n'en est "qu'à ses balbutiements" et que son développement souffre encore de "freins technologiques importants". Pour accéder au métavers, l'équipement privilégié reste le casque de réalité virtuelle, qui immerge son utilisateur dans une expérience à 360 degrés. Parmi les leaders du marché, on retrouve des marques comme HTC, Nvidia, Samsung ou encore Oculus, rachetée par Facebook en 2014, pour deux milliards de dollars. Mais ces appareils peinent à trouver leur public et sont encore "trop lourds et imposants", de l'aveu du patron de Facebook Mark Zuckerberg. L'avènement de l'internet 3.0 passera donc par des innovations matérielles.